D cs opioidesLes opioïdes sont des substances psychoactives ayant une influence sur la perception de la douleur et pouvant procurer un sentiment d’euphorie. Certains opioïdes sont prescrits pour soulager la douleur, tels que la codéine, la morphine, l’oxycodone et le fentanyl, alors que d’autres, comme la méthadone, sont prescrits pour traiter la dépendance aux opioïdes.
La dépendance aux opiacées
Le Canada est le deuxième plus grand consommateur d’opioïdes par habitant au monde, après les États-Unis. Selon une étude réalisée en 2015, plus d’un Canadien de 15 ans et plus sur 8 a pris un opioïde au cours de la dernière année (1).
Les opioïdes sont efficaces pour soulager la douleur aiguë modérée et intense, comme par exemple après une chirurgie, ainsi que la douleur causée par le cancer. Toutefois, leur efficacité à soulager la douleur chronique chez les patients non-cancéreux ne semble pas faire consensus (2).
Le principal problème des opioïdes est que leur usage peut causer une dépendance, surtout lorsque le médicament est utilisé fréquemment, à dose élevée, pour une période prolongée, ou lorsque l’opioïde est puissant. Les recommandations canadiennes 2017 sur l’utilisation des opioïdes pour le traitement de la douleur chronique d’origine non cancéreuse indiquent que les opioïdes sont associés à un risque de dépendance de 5,5 % (3).
La crise des opioïdes prend de l’ampleur au Canada depuis quelques années. À titre d’exemple, le taux d’ordonnance de formulations à dose élevée de morphine, d’hydromorphone, d’oxycodone et de fentanyl a augmenté de 23 % au Canada entre 2006 et 2011 (4).
Les mécanismes de dépendance
Les mécanismes impliqués dans la dépendance aux opioïdes ne sont pas complètement connus à l’heure actuelle.
Cependant, il est admis que ces substances agissent directement sur le système de récompense du système nerveux central, ce qui entraîne l’euphorie et la sensation de plaisir.
D’autres théories existent, telle la théorie des processus adverses (opponent process theory), selon laquelle un équilibre existe entre la perte de fonction des circuits dopaminergiques de récompense et une fonction accrue des circuits liés au stress impliquant l’amygdale, les systèmes de signalement opioïdes kappa-dynorphine et corticotrophine. Ce dernier devient hyperactif en cas de dépendance aux opioïdes et se manifeste par une augmentation de l’anxiété et des com portements agressifs (7, 44).
Une autre théorie est celle de la sensibilisation à l’avantage (incentive sensitization theory) selon laquelle les signaux de la drogue consommée augmentent avec la consommation chronique.
Combinés, ces phénomènes causent un comportement addictif qui est le résultat de:
- une diminution, avec le temps, des bénéfices suite à la prise ;
- et d’une augmentation de la dysphorie entre les prises de drogue ou lors de sevrage.
Ceci s’applique particulièrement aux opioïdes car ils induisent une tolérance aux doses répétées. Ceci cause une augmentation des doses consommées avec le temps ce qui résulte en une recherche compulsive de drogue, une dépendance accrue et une augmentation des effets négatifs lors d’abstinence.
Les patients atteints de douleur chronique seraient particulièrement vulnérables à développer une dépendance, car l’état dépressif qui accompagne souvent la douleur chronique est temporairement soulagé par le sentiment d’euphorie procuré par les opioïdes. (7).
Les opioïdes présentent des différences dans leur risque de dépendance associé, et cela dé pend de plusieurs facteurs, tels
- leur effet sur le système de récompense,
- le temps de pic de concentration plasmatique,
- la solubilité lipidique,
- la présence de métabolites bioactifs,
- le transport à travers la barrière hématoencéphalique (7).
Zoom sur trois opioïdes
Codéine
La codéine est un alcaloïde phenathrène naturel et un agoniste opioïde ayant des effets analgésiques légers, anti-diarrhéiques et antitussifs. Elle mime les effets des opioïdes endogènes en stimulant les récepteurs opioïdes à plusieurs endroits dans le système nerveux central.
La stimulation des récepteurs opioïdes de sous-type mu (μ) (un sous-type de récepteur opioïde situés dans le cerveau et le système digestif) cause une diminution de la libération de neuro transmetteurs nociceptifs tels que la substance P, le GABA, la dopamine, l’acétylcholine et la noradrénaline. De plus, l’un des métabolites de la codéine est la morphine, qui induit l’ouverture des canaux GIRK (G-protein-coupled inwardly rectifying potassium channels) et bloque l’ouverture des canaux à calcium de type N, ce qui résulte en une hyperpolarisation et une réduction de l’excitabilité neuronale.
La stimulation des récepteurs opioïdes de type μ situés dans le tube digestif, cause une réduction de la motilité intestinale et un ralentissement du transit intestinal. L’activité antitussive de la codéine est expliquée par son action sur le centre de la toux, situé dans la moëlle (8). La codéïne figure dans la liste de médicaments essentiels de l’Organisation Mondiale de la Santé (9).
Oxycodone
L’oxycodone est un médicament opioïde semi synthétique avec activité agoniste des récepteurs mu, kappa et delta. En inhibant l’adénylate cyclase, elle prévient la production d’AMPc, ce qui inhibe la libération des neurotransmetteurs nociceptifs (voir codéine, plus haut). L’oxycodone inhibe également la libération de vasopressine, de somatostatine, d’insuline et de glucagon, et réduit l’excitabilité neuronale de la même manière que la codéine.
L’oxycodone est plus puissant que la morphine, avec une équivalence de 1: 1,5 à 2 (10, 11). Sa demi-vie est de 3 – 4h, et de 12h dans le cas de l’oxycodone à libération prolongée (OxyContine). En comparaison avec la morphine, l’oxycodone est activement transporté à travers la barrière hématoencéphalique, a un effet plus rapide après administration et plusieurs métabolites actifs, ce qui explique le risque de dépendance plus élevé associé avec ce médicament (7).
Fentanyl
Le Fentanyl est un opioïde phenylpipéridine lipophilique synthétique puissant. Son mode d’action est similaire à l’oxycodone et aux autres opioïdes, mais entre 50 et 100 fois plus puissant que la morphine. Il est généralement utilisé pour traiter la douleur sévère ou pour gérer la douleur post-chirurgicale (12).
Le Fentanyl présente un risque de dépendance élevé, car il est l’opioïde le plus rapidement biodisponible. Sa solubilité lipidique très élevée (580 fois celle de la morphine) lui permet de tra verser la barrière hématoencéphalique très facilement. De plus, sa puissance et sa demi-vie plus longue augmentent les risques de complication et de décès en cas de consommation de quantités élevée ou inconnues, tel qu’il est souvent le cas pour les drogues achetées dans la rue (7). De janvier à septembre 2017, le fentanyl ou les analogues du fentanyl étaient impliqués dans 72 % des décès accidentels apparemment liés à la consommation d’opioïdes au Canada, contre 55 % en 2016 (4, 5).
Stratégies naturopathiques pour aider au sevrage
Passiflore
Les effets anxiolytiques de la passiflore (Passiflora incarnata) sont bien connus. L’anxiété fait partie des symptômes mentaux aggravés lors du sevrage des opioïdes. Une étude clinique randomisée en double aveugle contre placebo réalisée sur 65 patients dépendants aux opioïdes a révélé que l’ajout d’un extrait de passiflore combiné à la clonidine est significativement plus efficace que la clonidine seule dans le contrôle des symptômes mentaux pendant le sevrage. La posologie utilisée était de 60 gouttes par jour d’extrait de passiflore (13).
Ashwagandha
L’ashwagandha (Withania somnifera) est une plante importante de la pharmacopée traditionnelle de l’Inde, d’Afrique et du Moyen-Orient. Des études effectuées sur des rongeurs ont démontré que l’administration d’un extrait de Withania somnifera atténue le développement de la tolérance à l’effet analgésique de la morphine (14). Cela pourrait s’expliquer par le fait que le pré-traitement avec l’ashwagandha empêche la régulation à la baisse des récepteurs à opioïdes normalement observée lors d’usage des opioïdes (15).
Toujours selon des études sur les rongeurs, l’ashwagandha semble prolonger l’effet analgésique de la morphine, et prévient complètement certains signes de dépendance lors du sevrage de la morphine. L’extrait supprime aussi le développement de l’hyperalgésie rebond induite par la morphine, probablement via les récepteurs opioïdes GABAA, GABAB, NMDA et δ. (13, 16, 17).
Une autre étude réalisée sur des rongeurs a démontré que le prétraitement à l’extrait de Withania somnifera prévient les changements structuraux à la moelle épinière habituellement induits par le sevrage de la morphine, ce qui suggère un potentiel effet bénéfique dans le traitement de la dépendance aux opioïdes (18). Des études chez les humains seraient souhaitables afin de confirmer ces bienfaits.
Nigelle ou cumin noir
La graine de nigelle (Nigella sativa) est originaire d’Asie et est utilisée comme épice. Elle est traditionnellement utilisée pour ses propriétés médicinales antiparasitaire, diurétique, hypotensive, antihistaminique, hépato-protectrice et anti inflammatoire (19). Elle a notamment des propriétés analgésiques et anti-inflammatoires impliquant des mécanismes d’action autres que la stimulation des récepteurs opioïdes (20).
Ses principes actifs sont le thymoquinone, P-cymene, a-pinene, nigelline, nigellimine et saponines. Parmi eux, le thymoquinone, en tant qu’agent bloquant les canaux calciques, pourrait réduire les symptômes de sevrage des opioïdes (21).
Des études sur les rongeurs ont démontré que l’administration d’huile de nigelle prévient le développement de la tolérance et de la dépendance à la morphine (22). Cet effet serait dû à l’inhibition par la nigelle de la surproduction d’oxyde nitrique provoqué par la morphine, ainsi qu’à la réduction du stress oxydatif (23). Le thymoquinone semble aussi, grâce à ses propriétés anti-oxydantes et anti-apoptotiques, protéger les reins contre les dommages causés par la toxicité de la morphine (24).
Une étude clinique réalisée auprès de 35 patients dépendants à l’héroïne et consultant pour un syndrome de sevrage aigu semble indiquer que l’administration de 500 mg trois fois par jour de Nigella sativa (comprimés de graine entière moulue) durant 12 semaines est efficace pour diminuer les symptômes subjectifs et objectifs du sevrage, et prévenir les risques de rechute. Cependant, cette étude présente quelques faiblesses importantes: pas de groupe-contrôle, sans placebo, petit échantillon, haut taux d’abandon (10 sujets ont abandonné l’étude) (19).
D’autres études cliniques de meilleure qualité et de plus grande envergure seraient souhaitables afin de mieux vérifier l’effet bénéfique de la nigelle dans le traitement de la dépendance aux opioïdes.
N-acétyl-cystéine
La N-acétyl-cystéine (NAC) est une molécule largement utilisée pour ses propriétés antioxydantes et mucolytiques. Plusieurs recherches se sont intéressées à l’usage du NAC en neuropsychiatrie.
Son intérêt dans le traitement des dépendances réside dans sa capacité à réguler le glutamate. En effet, de nombreuses études soulignent le rôle du glutamate dans le phénomène de dépendance.
Chez les animaux, l’exposition chronique à différentes drogues cause une altération durable des signaux glutaminergiques et une diminution de l’échangeur cystine-glutamate. Il en résulte une réduction de l’élimination du glutamate extra-cellulaire et une accumulation de glutamate dans l’espace inter-synaptique. Ceci serait associé au comportement de recherche compulsive de drogue, et serait présent dans la dépendance à de multiples substances, dont l’héroïne. La NAC permet de rétablir de façon durable la régulation du glutamate et de réduire le com portement de recherche compulsive de drogue.
Bien que des études cliniques sur les humains ont souligné le potentiel de la NAC dans le traitement de la dépendance à la cocaïne, à la nicotine et au cannabis, actuellement elle n’a fait l’objet d’aucune étude clinique dans la dépendance aux opioïdes, seule ou en combinaison avec d’autres thérapies (27).
Des études effectuées chez les rats ont démontré que l’injection quotidienne de NAC à des rats entraînés à s’administrer eux-mêmes de l’héroïne diminue ou inhibe durablement le com portement de recherche de drogue (28, 29). Dans l’une de ces études, il a été observé que cet effet dure jusqu’à 40 jours après la dernière injection de NAC (28).
Romarin
Une étude réalisée sur les souris suggère que les feuilles de romarin (Rosmarinus officinalis) atténuent les symptômes de sevrage lors de dépendance à la morphine. Les mécanismes impliqués seraient d’induction du système GABA et possiblement l’interaction avec les récepteurs opioïdes, car les effets sont inhibés par le naloxone (30).
Un essai clinique en double aveugle contre placebo a été réalisé chez 81 patients dépendants à l’opium pendant 4 semaines. Les patients recevaient un traitement à la pendant 4 semaines. Le groupe contrôle recevait, en plus de la méthadone, un placebo, alors que le groupe traitement recevait de la méthadone plus 300 mg de romarin (feuilles séchées en poudre) : 16 capsules par jour les 3 premiers jours, 12 capsules par jour les 4 jours suivants, puis 8 capsules par jour en doses divisées la semaine suivante, pour un total de 14 jours. Les patients recevant le romarin ont eu significativement moins de symptômes de sevrage que le groupe contrôle, particulièrement les douleurs osseuses, la transpiration et l’insomnie, durant cette période de traitement qui a duré deux semaines (31).
Conclusion
Si plusieurs approches utilisées en naturopathie semblent avoir des effets bénéfiques dans le sevrage des opioïdes, aucun essai clinique n’a à ce jour été réalisé chez les humains pour évaluer l’effet de la naturopathie en tant que seul traitement de la dépendance. Cependant, vue l’innocuité des outils naturopathiques et les résultats généralement positifs des études, il pourrait être avantageux de les utiliser en complément de l’approche médicale conventionnelle.
La dépendance aux opioïdes est un problème social sérieux, avec des effets dévastateurs. Comme il vaut mieux prévenir que guérir, l’utilisation des opioïdes comme traitement de la douleur chronique devrait être remis en question. Deux études ont démontré l’efficacité de la naturopathie dans le traitement de la douleur chronique du bas du dos (36), ainsi que de la tendinite d’épaule chez les travailleurs des postes (37).
Il est par ailleurs intéressant de noter que parmi les outils naturopathiques ayant un potentiel thérapeutique dans le traitement de la dépendance aux opioïdes, plusieurs ont également un potentiel comme agent thérapeutique de la douleur chronique. C’est le cas notamment de la nigelle (38), de la passiflore (39) et du romarin (41, 42, 43). Gardons toutefois en tête que le sevrage de médicaments, particulièrement des opioïdes, doit ABSOLUMENT se faire sous supervision médicale. L’ajout de la naturopathie pourra accompagner ce processus en douceur. Compte tenu de son efficacité et son innocuité, la naturopathie aurait avantage à être plus largement utilisée dans la gestion de la douleur chronique.
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