Crucifères et sulforaphane
Avez-vous déjà entendu parler du sulforaphane? On retrouve ce composé phytochimique en abondance dans les crucifères et tout particulièrement dans le brocoli, les pousses de brocoli, les choux de Bruxelles et le chou kale. Ses nombreuses propriétés en font un allié pour le foie mais également pour les gens atteints de cancer ou de troubles de santé mentale. C’est ce que nous discuterons dans cet article.
La biotransformation hépatique
Le foie métabolise les composés endogènes et exogènes à travers en ensemble de processus de détoxification, ou biotransformation hépatique. Le tout s’effectue schématiquement en deux phases assurées par des enzymes spécifiques et des cofacteurs. Le but principal de la biotransformation est d’augmenter la solubilité des composés liposolubles que sont les sous-produits du métabolisme hormonal, les produits pharmaceutiques, les toxines environnementales, les endotoxines bactériennes et les xénobiotiques, en vue de leur élimination de l’organisme.
Sans une biotransformation hépatique efficace, ils peuvent s’accumuler dans les tissus riches en lipides (reins, foie, système nerveux) et engendrer une toxicité. Comme nous sommes exposés à de plus en plus d’agents toxiques et de xénobiotiques issus de notre environnement, il est important de maintenir un système de désintoxication qui fonctionne bien. Nous voulons assurer un métabolisme et une excrétion adéquate de ces molécules afin de réduire le risque de maladie.
En plus de nos habitudes de vie, certaines substances peuvent aider en ce sens, dont le sulforaphane.
Qu’est-ce que le Sulforaphane (SFN)
Le sulforaphane (SFN) est un composé organosoufré du groupe des isothiocyanates. Il se trouve dans la famille des crucifères. En fait, il serait plus juste de dire que les crucifères sont riches en glucosinolates, les précurseurs des isothiocyanates. Le glucosinolate est converti en sulforaphane par l’enzyme myrosinase. Celle-ci est libérée lorsque les légumes sont hachés, mâchés ou transformés. Nous pouvons aussi en produire via nos bactéries intestinales, et donc contribuer à sa conversion.
Dans cet article, nous nous intéressons au sulforaphane, mais il faut savoir que les crucifères contiennent une variété de glucosinolates menant à des isothiocyanates divers.
Le sulforaphane l’allié de votre foie
De nombreuses études ont pu démontrer que le sulforaphane augmente les processus de détoxification. Nous savons que le SFN peut réguler à la hausse l’expression de plusieurs gènes impliqués dans les voies de phase I et de phase II ainsi que dans la synthèse du glutathion.
Au niveau de la phase ll, il agirait sur les enzymes de détoxification en grande partie en raison de son activation de Nrf2. Celui-ci est un facteur de transcription régulant les enzymes antioxydantes clés et de détoxification de la phase II, notamment NQO1 et la glutathion-S-transférase (GST).
En plus d’activer Nrf2, le sulforaphane peut également déclencher l’expression de gènes clés impliqués dans l’expression des enzymes de détoxification.
Du brocoli contre le foie gras
Le sulforaphane pourrait réduire le développement de la stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD), ou foie gras, ainsi que l’apoptose des cellules hépatiques. Ainsi la prise de SFN réduirait :
- le gain de poids corporel,
- atténuerait la résistance à l’insuline,
- diminuerait les taux sériques de TG et de cholestérol total (TC),
- diminuerait le taux sérique d’alanine aminotransférase (ALT),
- empêcherait le dépôt de lipides dans le foie,
- ainsi que l’apoptose des cellules hépatiques.
Le SFN pourrait donc être un candidat potentiel pour prévenir et traiter la NAFLD. Pour en apprendre davantage sur cette condition, on vous invite à lire notre article sur la stéatose hépatique.
Sulforaphane et cancer
En plus de supporter le foie, le sulforaphane possède un éventail impressionnant de propriétés anti-cancer :
- il stimule l’apoptose des cellules anormales,
- freine leur réplication cellulaire,
- réduit la formation de métastases,
- et bloque l’angiogenèse.
L’une des plus excitantes découvertes récentes concernant le sulforaphane est sa capacité à inhiber les cellules-souches du cancer du sein responsable de la croissance tumorale et des rechutes.
Les études démontrent qu’aussi peu qu’une tasse de pousses de brocoli fraîches contiennent suffisamment de sulforaphane (200 μmol) pour pénétrer le tissu mammaire et stopper la croissance du cancer. Un autre mécanisme anti-cancer prometteur du sulforaphane consiste à réduire l’inflammation directement au niveau génétique en stimulant le facteur de transcription Nrf2.
Sulforaphane et santé mentale
L’application potentielle du SFN aux troubles mentaux a attiré beaucoup d’attention de la part des chercheurs au cours des dernières années. Plusieurs études ont rapporté des résultats suggérant que le SFN pourrait avoir des effets neuroprotecteurs sur les troubles mentaux en inhibant le stress oxydatif et la neuro-inflammation. Plus d’études sont nécessaires avant de statuer mais rien n’empêche d’augmenter notre consommation de crucifères!
Réduction du stress oxydatif
Le SFN peut atténuer le stress oxydatif dans la périphérie et le cerveau des modèles murins. Des chercheurs ont voulu savoir si la prise de SFN pouvait aider à améliorer la gestion de certains comportements spécifiques au trouble du spectre de l’autisme (TSA). Ce questionnement vient du fait qu’il a été observé que les cellules des personnes avec un TSA ont souvent des niveaux élevés de stress oxydatif causé par l’accumulation de sous-produits nuisibles de l’utilisation d’oxygène provoquant de l’inflammation. Des essais ont été réalisé sur des modèles murins avec troubles du spectre autistique (TSA). Ils ont observé une régulation à la hausse de l’expression d’antioxydants enzymatiques, notamment la superoxyde dismutase 1, la glutathion peroxydase 1 et la glutathion réductase, et une réduction du niveau de peroxydes lipidiques. Puis, plusieurs études ont été réalisées sur des modèles humains. Il est trop tôt pour statuer, mais la prise de SNF semble apporter une amélioration au niveau des interactions sociales, la communication verbale, l’irritabilité, les mouvements répétitifs, la léthargie et les fonctions cognitives. Toutefois, ces améliorations s’estompent après l’arrêt du traitement. Or la prise en continue semble faire perdurer les bienfaits.
Le SFN peut également réduire le stress oxydatif en normalisant à la baisse l’expression de HO-1. HO-1 est une protéine de stress oxydatif pouvant à la fois déclencher et découler de l’expression de HO-1.
Anti-inflammatoire
Le SFN peut exercer des effets anti-inflammatoires en réduisant l’expression de NF-κB et sa translocation nucléaire et sa capacité de liaison à l’ADN. En plus de la voie NF-κB, le SFN inhibe également la neuro-inflammation en régulant les protéines kinases activées par les mitogènes (MAPK).
Ayons aussi en tête que de réduire l’oxydation aura aussi pour effet la diminution de l’inflammation.
Sulforaphane et thyroïde
On entend souvent dire que les crucifères (cresson, chou, brocoli, navet, rutabaga, radis, feuilles de moutarde, raifort), sont « goitrigènes » car ils peuvent entraver l’utilisation de l’iode par la glande thyroïde surtout s’ils sont consommés crus. Il en va de même pour les noix de pin, le millet, le manioc ainsi que l’arachide.
Le processus de cuisson réduit l’activité des molécules goitrigènes mais il détruit aussi la myrosinase et conséquemment, le sulforaphane. En somme, puisque les crucifères ont des effets bénéfiques pour la santé, il n’est pas recommandé de les retirer totalement de notre alimentation, même en cas d’hypothyroïdie. On continue d’inclure différentes sources de crucifères mais on les fait cuire légèrement. Si on souffre d’hypothyroïdie et qu’on veut bénéficier des bienfaits du sulforaphane, il vaut mieux opter pour les suppléments afin d’obtenir des doses thérapeutiques sans les effets négatifs potentiels.
Quelle forme consommer ?
Intégrez dans votre alimentation des aliments riches en SFN. Le brocoli, le chou-fleur, le chou, les choux de Bruxelles et le chou frisé (kale) sont particulièrement riches en glucosinolates. D’un point de vue pratique, rappelons-nous que le glucosinolate est transformé en sulforaphane par l’enzyme myrosinase à la suite des dommages infligés à la plante – lors par exemple de la mastication – qui permettra à l’enzyme et à son substrat de se combiner et de réagir. C’est un processus similaire à celui de l’alline contenue dans l’ail qui est convertie en allicine lorsqu’elle entre en contact avec l’allinase. La myrosinase est aussi produite par les bactéries du microbiote. Cependant, elle est facilement détruite par la chaleur de la cuisson, limitant la production de sulforaphane provenant de crucifères cuits. Nous préférerons donc une cuisson légère.
Une autre belle façon de les consommer est également sous forme de germinations (pousses de brocoli ou de kale). À noter, que les pousses sont beaucoup plus concentrées en SFN que les légumes.
Finalement, vous pouvez également opter pour un supplément. Du côté des suppléments, certains extraits brevetés de brocoli contiennent la glucoraphanine (le glucosinolate présent dans le brocoli) combinée à la myrosinase activée permettant une conversion optimale en sulforaphane une fois dans le tube digestif. Typiquement, un extrait de 300 mg de brocoli fournit environ 10 % de glucosinolate de sulforaphane– ou glucoraphanine – et 1,4 à 2,3 mg de sulforaphane actif.
Plusieurs suppléments sont disponibles sur le marché, informez-vous auprès d’un naturopathe agréé pour plus de détails 😊
En conclusion, le SFN est une molécule de choix pour soutenir les voies naturelles de désintoxication du corps, et ainsi aider à atténuer les dangers posés par les toxines, la pollution et les xénobiotiques. Le SFN possède également des propriétés anti-cancer et neuroprotectrices. Il est donc intéressant d’incorporer des sources de SFN (alimentaire ou en supplément) dans votre routine quotidienne. Faites cependant attention si avez tendance à l’hypothyroïdie.
Veuillez noter que cet article ne remplace pas un suivi médical. La naturopathie est une approche complémentaire à la médecine conventionnelle.
Ce texte est une adaptation du texte original de Chantal-Ann Dumas (2018) révisé en 2023 en fonction des nouvelles études et données.
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