L’hypochlorhydrie, trop souvent ignorée

par | Habitudes de vie, Thérapeutes et autres professionnels

Qu’est-ce que l’hypochlorhydrie ?

L’acide chlorhydrique (HCL)  est un ingrédient indispensable pour une digestion optimale. Lorsqu’on ne produit pas assez d’HCL pour permettre un fonctionnement optimal du système digestif, on parle d’’hypochlorhydrie. Ce terme fait donc référence à un état où le niveau d’acide chlorhydrique dans le liquide gastrique est trop bas.

Rappel des processus de digestion

Dans la bouche, les aliments subissent déjà quelques transformations grâce à la mastication et aux enzymes salivaires, particulièrement l’amylase.

Ils passent ensuite dans l’œsophage vers l’estomac où le bol alimentaire prend le nom de chyme. À cet endroit, par brassage et péristaltisme, le chyme est mélangé aux sucs gastriques composés d’acide gastrique (HCL) et de pepsine, enzyme ayant pour rôle de décomposer les protéines. La digestion au niveau de l’estomac se fait dans un milieu acide.

L’estomac procède à la vidange du bol alimentaire vers le duodénum, la 1re partie de l’intestin grêle; C’est à ce niveau que la bile produite par le foie, et stockée dans la vésicule biliaire, est déversée. La bile s’avère essentielle à l’émulsification des lipides et à leur absorption. S’ajoutent à ce cocktail les sucs pancréatiques composés de bicarbonates (sels alcalins) et d’enzymes protéolytiques, glycolytiques et lipolytiques. La digestion au niveau de l’intestin se fait dans un milieu alcalin.

Le péristaltisme intestinal transporte le bol alimentaire obtenu vers le jéjunum et l’iléon, les deux autres parties de l’intestin grêle, où la digestion se poursuit. Les nutriments sont assimilés grâce aux cellules (entérocytes) dans la paroi de l’intestin grêle, dont la majeure partie au niveau du duodénum. Le reste du bol alimentaire non absorbé ira dans le caecum (le début du gros intestin), puis dans le côlon où l’eau sera absorbée et les matières fécales formées passeront dans le rectum avant d’y être éliminées par les selles.

L’acide chlorhydrique (HCL)

Les cellules gastriques des parois de l’estomac peuvent produire environ deux litres d’acide chlorhydrique par jour. Son pH lorsque optimal se situe entre 1 et 3.

Pour se protéger des éléments chimiques puissants qu’il produit, l’estomac sécrète un mucus, à l’épreuve de l’action de la pepsine et du HCL. Lorsque la production de mucus est inadéquate, il peut s’en suivre une gastrite ou la formation d’ulcères. Plusieurs raisons peuvent expliquer la sous production de mucus : le stress, certains manques en nutriments, la présence d’une bactérie comme Helicobacter pylori et la surconsommation d’alcool et d’aliments épicés.

Le HCL remplit plusieurs rôles physiologiques:

  • Détruire la majorité des microorganismes nuisibles qui pourraient pénétrer dans le tube digestif;
  • Action mécanique au niveau du sphincter gastro-œsophagien : une acidité suffisante constitue un signal indiquant que le sphincter doit se refermer;
  • Activer les enzymes digestives dont la conversion du pepsinogène en pepsine;
  • Stimuler le pancréas à libérer ses sucs digestifs riches en ions bicarbonates et en enzymes;
  • Stimuler la vésicule biliaire à libérer de la bile pour la digestion des lipides;
  • Faciliter et accroître l’absorption de plusieurs vitamines et minéraux.

 Sans l’action fongicide et bactéricide de l’acide chlorhydrique, nous augmentons le risque de multiplication des pathogènes. On retrouve d’ailleurs une association étroite entre l’hypochlorhydrie et la prolifération bactérienne du grêle (Small Intestin Bacterial Overgrowth ou SIBO) [1, 2].

Comprendre l’hypochlorhydrie

Chez les personnes en situation d’hypochlorhydrie, le pH varie de 3 à 5, alors que le pH optimal se situe entre 1 et 3.

Signes cliniques d’une hypochlorhydrie

Les manifestations cliniques peuvent être nombreuses et variables, mais le signe clinique pathognomonique consiste en une sensation de réplétion immédiatement après les repas. Elle survient même si la ration alimentaire n’a pas été copieuse. Cette sensation peut se transformer en douleur abdominale haute postprandiale.

On note également selon les cas :

  • Une digestion lente (parfois, les aliments stagnent jusqu’à 4h dans l’estomac, au lieu de 1-11/5h);
  • Une halitose (haleine fétide);
  • Des éructations;
  • Des ballonnements gastriques et intestinaux directement après le repas;
  • Douleurs à l’estomac;
  • Des flatulences;
  • Du pyrosis (reflux gastro-œsophagien)*;
  • Des nausées et/ou vomissements;
  • Diarrhée et/ou constipation;
  • Résidus alimentaires non digérés dans les selles;
  • Taches blanches sur les ongles;
  • Candidose chronique;
  • Fatigue, surtout après repas;

*Il faut savoir que les symptômes de surproduction d’acide chlorhydrique et ceux d’un manque d’acide sont quasi identiques.  Le Dr Jonathan Wright explique dans son livre « Why Stomach Acid is good for You » que, selon son expérience clinique, 90% des patients souffrants de reflux gastriques étaient en réalité des cas d’hypochlorhydrie et non d’hyperchlorhydrie!

Conséquences de l’hypochlorhydrie sur le profil nutritionnel

Il faut s’attendre à de nombreux déficits en nutriments, car comme nous l’avons vu, l’ensemble des processus digestifs dépend d’un bon niveau d’acidité gastrique pour avoir lieu. Un grand nombre de nutriments dépendent de ce pH gastrique bas pour leur absorption intestinale.

Les déficits possibles les plus importants se situent au niveau :

  • des protéines,
  • des minéraux et oligoéléments magnésium, calcium, fer, zinc, chrome, phosphore et cuivre.
  • la B12
  • les acides gras et vitamines liposolubles

Pour être absorbée, la B12 a besoin du facteur intrinsèque qui lui-même nécessite une bonne acidité gastrique pour être activé [9-10].

L’hypochlorhydrie aura aussi un impact sur l’absorption des acides gras et des vitamines liposolubles. N’oublions pas l’assimilation des acides gras et les vitamines liposolubles (A, D, E et K) dépend de la bonne sécrétion de la bile et des enzymes lipolytiques, qui eux-mêmes dépendent d’un niveau d’acide gastrique adéquat.

Les causes de l’hypochlorhydrie

 Selon la littérature scientifique, voici les causes possibles les plus fréquentes  :  

  • Le vieillissement : Après 50 ans la production de HCL a tendance à diminuer [4-11];
  • Carence en zinc : le zinc joue un rôle crucial en intervenant comme cofacteur dans la production d’HCL [12];
  • Le stress : en cas de stress, le système nerveux sympathique prend le dessus sur le SN parasympathique ce qui inhibe les processus digestifs; Lorsque chronique, le stress peut induire un déficit en zinc.
  • Le Helicobacter pylori : peut provoquer une gastrite (en effet une infection par H. pylori est retrouvée 7 fois sur dix lors d’un ulcère gastrique) et perturber la production d’HCL. (paradoxe de l’œuf et de la poule : Le manque d’HCL facilite l’implantation de cette bactérie et cette bactérie cause l’hypochlorhydrie…)[13];
  • Manque de sel (NaCl) : le corps en a besoin pour produire l’acide chlorhydrique;
  • Une hypothyroïdie ou une diminution de la fonction thyroïdienne : L’hormone thyroïdienne joue un rôle dans la sécrétion d’acide chlorhydrique. [14] ;
  • Troubles de l’hypophyse : lorsque cet organe fonctionne mal, la voie de communication hormonale entre la gastrine et l’histamine peut être altérée;
  • La consommation excessive de café de façon chronique stimule l’estomac à sécréter de grande quantité d’HCL. Ceci peut à la longue irriter l’estomac et son fonctionnement, et mener à une diminution de la production d’acidité de l’estomac.
  • Le manque de mastication : le fait de mastiquer insuffisamment les aliments, dont les protéines, privera l’estomac d’une prédigestion mécanique de celles-ci. Et il y aura un besoin croissant de sécréter davantage d’acide chlorhydrique pour digérer correctement ces protéines mal broyées. Ce qui amènera à long terme un épuisement des sécrétions gastriques, voire pancréatiques [16];
  • Les médicaments: tous les antiacides, les inhibiteurs de la pompe à protons; IPP (Omeprazole, Losec, Prevacid, Dexilant, Nexium, Pantoprazole, Pantoloc) et certains antibiotiques. (Utilisation à long terme). L’utilisation des IPP a augmenté considérablement au cours des dernières années. Ils diminuent drastiquement le HCL, [15];

Médicaments : Conséquences de la prise d’antiinflammatoires non-stéroïdiens (AINS)

La prise d’AINS, même à doses normales, expose à des risques de brûlure d’estomac, voire d’ulcère, de perforation ou d’hémorragie gastrique. Mais l’incidence d’un effet indésirable donné dépend de la nature de l’AINS et souvent de sa posologie ainsi que du terrain du malade et des médicaments associés.

 Mécanismes : Il existe deux mécanismes responsables de la toxicité digestive des AINS :

  1. Effet topique irritatif de l’acidité des AINS sur l’épithélium digestif
  2. Effet systémique, secondaire à l’inhibition de la synthèse des prostaglandines par la prise des AINS :
  • diminution de la production et de la sécrétion de mucus;
  • diminution du flux sanguin muqueux gastrique;
  • inhibition du processus de restitution tissulaire.

Quelques conditions associées à l’hypochlorhydrie

  • Anémie pernicieuse (mauvaise absorption de la vitamine. B12),
  • Fatigue chronique;
  • Maladies auto-immunes en général, dont : maladie de cœliaque Crohn, polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux, le vitiligo;
  • L’asthme (des études [17] ont montré que 80% des enfants asthmatiques avaient de l’hypochlorhydrie);
  • Syndrome de l’intestin irritable;
  • Prolifération bactérienne et fongique : dont H.pylori, salmonelle, E. Coli, candida;
  • Eczéma, urticaire;
  • Augmentation du nombre d’intolérances alimentaires et d’allergies;
  • Ostéoporose;
  • Syndromes neurodéveloppementaux : l’autisme, TDAH et la dyslexie;

 Comment optimiser son taux d’acide gastrique et sa digestion

Comme nous l’avons vu précédemment, les habitudes de vie peuvent avoir un impact sur la production d’HCL et nos capacités digestives. La première approche sera donc d’améliorer nos habitudes de vie. Regardez parmi les facteurs suivants ce qui vous concerne ou concerne votre client et commencez à apporter quelques modifications à votre quotidien :

  1. Développer une saine gestion du stress,
  2. Mastiquer suffisamment,
  3. Prendre le temps de s’arrêter pour manger, dans le calme, et être « présent » à notre repas,
  4. Équilibrer l’alimentation,
  5. Revoir la consommation de café,
  6. Consommer suffisamment d’aliments riches en zinc en supplémentant au besoin
  7. Consommer des végétaux crus et des aliments lactofermentés, notamment avant les repas, pour apporter un soutien enzymatique. Important de manger cru ET cuit;
  8. Consommer des plantes « amères » : gingembre frais, menthe poivrée, gentiane, boldo, absinthe, fenouil, pissenlit, endives, chardon-marie. Des études confirment la capacité de ces plantes à augmenter l’écoulement des sucs digestifs, y compris l’acide chlorhydrique, la bile, la pepsine, la gastrine et les enzymes pancréatiques.
  9. Diminuer le sucre sur un court terme : pour éviter les fermentations des sucres complexes par des bactéries en prolifération, le temps de remettre en place un bon processus digestif, surtout en cas de SIBO et reflux [21];
  10. Boisson : Évitez de trop boire d’eau pendant les repas. Cela dilue les sécrétions gastriques.
  11. Évitez les aliments trop froids et des boissons glacées.
  12. Utilisez les médicaments de type d’antiinflammatoiresnon-stéroïdiens que si nécessaire.

Le simple fait de manger en conscience, de prendre le temps de mastiquer et de mieux gérer son stress en respectant ses limites peut faire une grande différence sur notre digestion.

Or, si vous soupçonnez un déséquilibre de votre taux d’acidité gastrique et que vous présentez des inconforts digestifs, n’hésitez pas à vous faire accompagner par un naturopathe agréé.

Références

  1. SNEPAR, R., et al., «Effect of cimetidine and antacid on gastric microbial flora», Infect Immun, 36 (2): p. 518-24.
  2. MEYNIEL, D. et al., «Vitamin B12 deficiency in chronic atrophic gastritis.3 cases (author’s transl)» Nouv Presse Med, 10(27): p. 2281-4.
  3. GRAZIANI, G., et al., «Effect of gastric acid secretion on intestinal phosphate and calcium absorption in normal subjects», Nephrol Dial Translant, 10 (8): p. 1376-80.
  4. RUSSELL, R.M., «Changes in gastrointestinal function attributed to aging», AM J Clin Nutr, 55(6 Suppl): p. 1203S-1207SBOERO, M., et al., «Candida overgrowth in gastric juice of peptic ulcer subjects on short- and long-term treatment with H2- receptor antagonists», Digestion, 1983, 28(3): p. 158-63.
  5. JASKIEWICZ, K., et al., «Chronic atrophic gastritis, gastric pH, nitrites and micronutrient levels in a population at risk for gastric carcinoma », Anticancer Res, 1990. 10(3): p. 833-6.
  6. O’CONNOR, H.J., et al., «Vitamin C in the human stomach: relation to gastric pH, gastroduodenal diseas, and possible sources», Gut, 1989. 30(4): p. 436-42.
  7. SOBALA, G.M., et al., «Ascorbic acid in the human stomach», Gastroenterology, 1989. 97(2): p. 357-63.
  8. EICHHOLZER, m. and F. GUTZILLER, «Dietary nitrates, nitrites, and N-nitroso compounds and cancer risk : a review of the epidemiologic evidence», Nutr Rev, 56(4 Pt 1): p. 95-105.
  9. KING, C.E, J. LEIBACH, and P.P. TOSKES, «Clinically significant vitamin B12 deficiency secondary to malabsorption of proteinbound vitamin B12» Dig Dis Sci, 24(5): p. 397-402.
  10. Sherman Mark, MD https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2278295/
  11. HOLT, P.R. I.H. ROSENBERG, and R.M. RUSSEL, «Causes and consequences of hypochlorhydria in the elderly», Dig Dis Sci, 1989. 34(6): p. 933-7.
  12. HUANG, c.c., et al., «Reversal of the hydrogen bond to zinc ligand histidine-119 dramatically diminishes caralysis and enhances metal equilibration kinetics in carbonic anhydrase II», Biochemistry, 1996. 35(11): p. 3439-46.
  13. McCOLL, K.E., E. EL-OMAR, and F. GILLEN, «Interactions between H.pylori infection, gastric acid secretion and anti-secretory therapy», Br Med Bull, 1998. 54(1): p. 121-38.
  14. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK507793/
  15. Sherman Mark, MD https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2278295/
  16. Dr Mouton, Georges (2007); Écosystème intestinal & santé optimale (3e édition), p.64-66
  17. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28435409/
  18. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20325411/ et 18a : Hansson LE, Nyrén O, Hsing AW, et al.The risk of stomach cancer in patients with gastric or duodenal ulcer disease. N Engl J Med 1996 ; 335 : 242-9.
  19. https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1586/egh.11.69
  20. Dr Mouton, Georges (2007); Écosystème intestinal & santé optimale (3e édition), p.458
  21. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11712463/
  22. Inflammation and intestinal metaplasia of the distal esophagus are associated withalterations in the microbiome Yang L. Gastroenterology 2009 Aug ;137(2) :588-97
  23. Cytokine regulation of tightjunctions Cepaldo CT Biochim Piophys Acta 2009 Apr ; 1788 :864-71
  24. Tharwat S Kandil et al. The potential therapeutic effect of melatonin in gastro-esophageal reflux disease. BMC Gastroenterol. 2010; 10: 7.

Autres sites visités pour l’élaboration de cet article :

Pour les anti-inflammatoires :

  • Bastaki SM, Wallace JL. Pathogenesis of non steroidal anti-inflammatory drug gastropathy : clues to preventive therapy . Can J. Gastroenterol. 1999 mars; 13(2) :123-7
  • Gargot D, Chaussade S. Retentissements et effets des anti-inflammatoires non stéroïdiens sur l’intestin. Deuxième partie : effets des AINS sur l’intestin grêle et le côlon. Gastroenterol Clin Biol 1993; 17 : 485-491 48
  • Bjarnason I, Maspherson A.J.S. Intestinal toxicity of no-steroidal anti-inflammatory drugs. Pharmacol Ther 1994; 62: 145-157.
  • Huerta C, Castellsague J, Carras-Lorenzo C, Garcia Rodriguez LA. Nonsteroidal AntiInflammatory Drugs and Risk of ARF in the general population. Am J Kidney Dis 2005; 45 : 53 1-9.
  • Trelle S, Reichenbach S, Wandel S, Hildebrand P, Tschannen, Villiger P.M, Egger M, Jüni P. Tolérance cardiovasculaire des anti-inflammatoires non stéroïdiens : méta-analyse en réseau. BMJ 2011; 342:c7086
Lorenza Saverioni, ND.A.
514-706-7521

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