Dans l’ombre des grands conflits médiatisés, une bataille cruciale se joue au cœur de notre alimentation : la privatisation et le monopole des semences agricoles. Depuis des siècles, les agriculteurs sélectionnent, sauvegardent et échangent librement leurs graines, garantissant ainsi la diversité des cultures et la résilience des écosystèmes. Mais aujourd’hui, ce modèle traditionnel est menacé par la domination croissante des multinationales agrochimiques, qui imposent brevets, semences OGM et normes restrictives. Cette concentration du contrôle des semences impacte gravement la biodiversité, la souveraineté alimentaire et la durabilité de l’agriculture à l’échelle mondiale.
La privatisation des semences : comment les multinationales contrôlent l’agriculture mondiale
Depuis toujours, les paysans sélectionnent et échangent leurs semences librement. Pourtant, de nouvelles lois et la domination des entreprises agrochimiques ont bouleversé cet équilibre. Aujourd’hui, trois grandes multinationales détiennent le monopole des semences, imposant des brevets et des OGM aux agriculteurs du monde entier : Bayer (qui a racheté Monsanto en 2018), Corteva et Syngenta. Elles ont réussi à prendre le contrôle des semences grâce à des brevets et à des lois favorisant l’agriculture industrielle. L’offre est de plus en plus taillée sur mesure pour une agriculture industrialisée utilisant abondance de produits chimiques.
Conséquences de la disparition des variétés anciennes sur la biodiversité agricole
Nous assistons à la disparition progressive des anciennes semences au profit d’espèces standardisées et contrôlées. Ce phénomène impacte directement la biodiversité et augmente notre vulnérabilité aux maladies ainsi qu’aux catastrophes naturelles. 75% des variétés cultivées auraient disparu au cours du XXe siècle.
Les stratégies des entreprises agrochimiques pour dominer le marché des semences
Les entreprises agrochimiques ont mis en place plusieurs stratégies pour contrôler les semences. Une fois qu’une entreprise dépose un brevet sur une semence, seuls ceux qui paient des droits peuvent l’utiliser et les agriculteurs perdent ainsi le droit de replanter leurs propres récoltes. Ensuite, elles imposent des semences OGM et hybrides qui sont souvent stériles, obligeant ainsi les agriculteurs à les racheter chaque année. Puis des lois sont mises en place pour favoriser ces grandes entreprises. Par exemple, en Europe, seules les semences inscrites au catalogue officiel peuvent être commercialisées, un processus qui peut être coûteux et inaccessible aux petits producteurs. D’ailleurs, l’Inde illustre l’une des conséquences les plus dramatiques de cette situation. Chaque année, des milliers d’agriculteurs se suicident à cause des dettes accumulées après l’achat de semences OGM. Des agriculteurs sont parfois poursuivis en justice pour avoir simplement utilisé des semences protégées par des brevets.
Les multinationales cherchent avant tout à maximiser leurs profits et à dominer le marché agricole mondial. Pourtant, ce contrôle des semences va bien au-delà d’une simple question économique. Il affaiblit les petits agriculteurs qui n’ont plus les moyens d’être autonomes et menace la biodiversité en supprimant progressivement les variétés locales et traditionnelles. Il renforce un modèle agricole dépendant des pesticides et des engrais chimiques, ce qui a un impact écologique considérable. Et pourtant nous avons les connaissances pour faire les choses autrement. Je vous conseille d’ailleurs le livre Pour le bien de la terre de Louis Robert, ancien agronome du MAPAQ, pour mieux connaître la situation au Québec. On y apprend en autre qu’au Québec nous utilisons les engrais chimiques de façon excessive, une pratique bien plus répandue qu’ailleurs en Amérique du Nord. Cette surutilisation ne serait pas fondée sur les besoins réels des sols mais plutôt sur une habitude imposée par les vendeurs d’engrais. Ces produits ne sont pas sans conséquences sur notre environnement et sur la qualité de la terre.
Le modèle agricole industriel vs. le rythme naturel : une déconnexion dangereuse
L’idée que la productivité doit primer sur la qualité est totalement en décalage avec la manière dont la nature fonctionne. Il ne suffit pas de produire en grande quantité ; encore faut-il préserver la qualité et la diversité des cultures. La nature a un équilibre propre, un rythme qu’elle impose, et il est essentiel de le respecter pour éviter les maladies, l’appauvrissement des sols et la dégénérescence des espèces. D’autant plus que le règne végétal reste une énigme pour la science moderne. La diversité des espèces et les conditions variées auxquelles elles sont exposées sont à la base de leurs propriétés thérapeutiques exceptionnelles, presque impossibles à reproduire en laboratoire. Cette complexité naturelle est une richesse pour l’humanité, et vouloir stériliser cette source abondante de diversité serait une grave erreur.
Solutions durables : initiatives locales et alternatives aux semences industrielles au Québec
Malgré ce constat alarmant, ils existent des solutions et des alternatives à ce modèle. Tout d’abord, ici au Québec, les agriculteurs peuvent utiliser les semences qu’ils souhaitent. D’ailleurs plusieurs semenciers québécois offrent des graines de plantes variées, anciennes et/ou originaire du Québec et/ou biologiques. Le jardin vivrier a d’ailleurs dressé une liste de semenciers québécois : https://www.jardinvivrier.com/semenciers-artisanaux-qc
Au Québec, les consommateurs sont de plus en plus nombreux à rechercher des produits issus d’une agriculture durable. Les initiatives locales telles que l’agriculture biologique et les circuits courts permettent de se détacher du modèle industriel et de retrouver une forme d’indépendance agricole. En tant que consommateurs nous pouvons donc choisir des produits issus de fermes paysannes faisant des choix en fonction de la qualité et de la santé avant tout.
La résistance mondiale : banques de semences paysannes et protection de la biodiversité
Il existe aussi partout dans le monde des initiatives de résistance menées par des agriculteurs et militants qui luttent pour préserver la diversité des semences paysannes. Des banques de semences paysannes permettent aux agriculteurs d’échanger librement leurs graines, et de conserver des variétés anciennes. L’association kokopelli fait partie de ces groupes : https://kokopelli-semences.fr/fr/page/qui-sommes-nous
L’urgence de préserver la souveraineté alimentaire face à la privatisation des ressources agricoles
Il y a urgence de prendre conscience collectivement de l’importance des semences et de la nécessité de protéger la biodiversité agricole. Et plus globalement de l’impact de nos modes de culture et d’élevage sur l’ensemble des écosystèmes, être humain inclus ! Il est inquiétant que quelques entreprises puissent potentiellement contrôler entièrement nos ressources alimentaires et donc notre santé. Cela dit, tout n’est pas perdu, car des militants aux quatre coins du monde se battent pour préserver notre patrimoine agricole. Grâce aux banques de graines, ils permettent de conserver et de partager les semences traditionnelles, perpétuant ainsi des valeurs fondamentales de solidarité, de communauté et d’indépendance. Je considère ces valeurs comme la clé pour une économie prospère mais équitable, où l’humain et l’harmonie avec la nature priment sur l’unique recherche de rentabilité.
Agir localement : soutenir l’agriculture durable et sensibiliser aux enjeux des semences
Les graines sont notre héritage commun. Il nous appartient de les protéger, de préserver la biodiversité agricole et de repenser notre rapport à la productivité, la diversification et l’agriculture pour bâtir un modèle plus durable et respectueux du vivant. Nous avons tous un rôle à jouer en soutenant une agriculture plus locale et durable. Par exemple, nous pouvons privilégier des produits issus de semences paysannes, sensibiliser notre entourage aux enjeux liés à la privatisation des semences et encourager la désobéissance civile qui œuvre à s’opposer aux géants agroalimentaires.
Malgré un constat alarmant sur l’évolution de l’industrie alimentaire, nous sommes nombreux, et nos choix individuels ont un réel impact sur l’avenir de notre planète. À l’image des petites graines qu’il faut continuer à semer et partager, l’information et la prise de conscience doivent aussi circuler, car elles sont les premières étapes du changement.
Préservons notre souveraineté alimentaire dans un monde où le vivant ne doit pas devenir une simple marchandise.
Yousra Bernoussi, étudiante en naturopathie et citoyenne engagée